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« Au lendemain du désenchantement avoué de Nicolas Hulot face à l’impasse néolibérale, à l’étapisme environnemental et à la logique des « petits pas » promus par les gouvernements de ce monde, force est de constater qu’une importante transformation culturelle s’impose au cœur de nos sociétés. Et l’éducation peut être un puissant levier d’une telle transformation, contribuant au développement d’un pouvoir-agir chez les personnes et les groupes sociaux. »
La rentrée scolaire bat son plein au terme d’un été parmi les plus chauds enregistrés dans l’hémisphère nord. Les graves conséquences humaines de ce bouleversement climatique continuent de s’accumuler en même temps que s’enchaînent les trop nombreux impacts environnementaux.
C’est ainsi qu’au cœur de la campagne électorale qui caractérise également cette rentrée 2018, l’initiative de mobilisation « Vire au vert » impliquant plusieurs grandes organisations environnementales tente de convaincre les candidats de se prononcer relativement à 23 engagements de premier plan en matière d’environnement. Or il importe d’ajouter ici un 24e engagement, incontournable et transversal: l’éducation.
Par ailleurs, cette période est aussi marquée par les revendications de nombreuses organisations du milieu de l’éducation en ce qui concerne la lutte contre la ségrégation scolaire, l’épuisement professionnel et le décrochage, la tendance à mercantiliser l’éducation et le manque criant de ressources financières. Il s’agit en particulier de promouvoir la justice sociale et la démocratie à travers l’ensemble du système éducatif québécois. Or dans une perspective écologique, comme le soulignent Karel Mayrand et Hugo Séguin, la justice sociale et la démocratie sont indissociables des préoccupations environnementales: il s’agit bien d’une seule et même lutte pour la qualité du vivre ensemble.
Au lendemain du désenchantement avoué de Nicolas Hulot face à l’impasse néolibérale, à l’étapisme environnemental et à la logique des « petits pas » promus par les gouvernements de ce monde, force est de constater qu’une importante transformation culturelle s’impose au cœur de nos sociétés. Et l’éducation peut être un puissant levier d’une telle transformation, contribuant au développement d’un pouvoir-agir chez les personnes et les groupes sociaux.
Il faut reconnaître en effet que la prise en compte du rapport à l’environnement à l’école – comme dans les autres milieux d’apprentissage – va bien au-delà d’une éducation comportementale de l’ordre de l’écocivisme, de la consommation ou de la gestion. Il s’agit de repenser le sens de notre trajectoire humaine et de reconnaître la dimension politique de notre ancrage dans une « maison » partagée entre nous les humains et avec les diverses formes de vie. Il s’agit de promouvoir une écocitoyenneté consciente, critique et créative, capable de remettre en question les choix de notre société et de s’engager dans d’autres avenues. Éduquer à l’environnement, c’est apprendre à s’occuper ensemble de ce qui nous concerne tous.
Les enfants et les jeunes ne sont pas en attente de « la vraie vie » : ils sont déjà citoyens de leur monde, au cœur de la « cité » de l’école, du quartier, de la région… Respirer, boire, se nourrir, se vêtir, se loger, produire et consommer, s’affirmer, rêver et créer… s’inscrivent dans la trame d’une vie partagée, dans un réseau d’interactions au sein des écosystèmes qui nous portent. Une société en transformation ne peut se passer de la créativité et de l’engagement des jeunes. Ceux-ci trouvent d’ailleurs dans des projets d’apprentissage liés aux réalités de leurs milieux de vie, un lieu d’accomplissement qui favorise la persévérance scolaire et la réussite éducative. Les enseignants et enseignantes peuvent par ailleurs y trouver un chantier stimulant pour déployer leur rôle de « passeur culturel » vers l’amélioration des façons de vivre ici ensemble. Plusieurs y sont déjà engagés, malgré tous les défis que pose une « forme scolaire » trop rigide : ils et elles méritent reconnaissance et appui, et leurs projets inspirants doivent être diffusés.
Et puis, il faut reconnaître que l’école n’est pas une île. L’éducation est une responsabilité collective. En ce sens, les acteurs des milieux d’éducation non formelle rejoignent une diversité de publics et peuvent accompagner l’école dans sa mission. De nombreux organismes environnementaux, groupes écologistes, parcs, musées et autres institutions souhaitent partager l’expertise remarquable qu’ils ont développée en éducation relative à l’environnement. Leur contribution doit être nettement mieux soutenue et mise en valeur.
C’est dans la perspective de favoriser une telle synergie entre les milieux d’éducation formelle et non formelle qu’il devient de plus en plus impératif que le Québec se dote d’une politique publique forte d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté. L’environnement n’est pas un thème parmi d’autres qu’on peut aborder quand il « reste du temps » dans une grille horaire trop chargée. Il s’agit d’un ensemble de réalités vitales. Le rapport à l’environnement est une dimension fondamentale du développement humain, sans laquelle l’éducation reste inachevée et nous formons des êtres inachevés.
Lucie Sauvé, professeure en éducation et directrice
Hugue Asselin, coordonnateur
Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté
Université du Québec à Montréal
au nom de la Coalition Éducation – Environnement – Écocitoyenneté